"Au moins mille saumons remontent le Rhin à partir du delta"

21 mai, journée internationale des poissons migrateurs. A cette occasion, l’agence de l’eau a rencontré Jean-Franck Lacerenza, directeur de l’association Saumon Rhin. Il décrit la situation pour les saumons et autres anguilles du Rhin et note les axes de progrès.

Sur votre site internet, vous avez annoncé début mars le retour des premiers saumons de printemps ! D’où viennent-ils, où vont-ils et sont-ils assez « costauds » pour poursuivre leur parcours ?

Les saumons atlantiques de printemps reviennent majoritairement de mars à fin juin avec un pic souvent constaté pour avril/mai après avoir passé généralement 3 ans dans les régions proches du Groenland pour certains, de l’Irlande et dans la mer du nord pour d’autres.

De par leur taille et surtout leur masse constituée principalement de gras, ils possèdent une quantité d’énergie importante leur permettant de poursuivre leur parcours jusqu’aux habitats favorables pour leur reproduction en novembre/décembre. Sur le bassin Rhin-Meuse, ces zones de reproduction sont principalement dans les affluents du Rhin comme la Bruche, la Fecht… en passant par la rivière Ill, assez haut dans les rivières, là où on retrouve du galais au fond et de l’eau bien oxygénée.

Pour la plupart, ce sont donc des poissons de 5 ans (1 à 2 ans en rivière + 3 ans en océan) qui mesurent plus de 85 cm et un poids proche de 10 kg.

Presque tous les géniteurs vont périr après la reproduction. Ainsi, ils vont passer l’année sans se nourrir, car la cavité abdominale sera réservée pour les organes reproducteurs et les œufs.
De ce fait, chaque barrage ou facteur impactant leur migration réduit considérablement leur quantité d’énergie et amoindrit leur chance de se reproduire. Ce sont donc de bons bioindicateurs de l’écosystème aquatique car ils intègrent de nombreuses notions de temps, de continuité (déplacements), d’habitats, de pollution…  

Image retirée.

Jean-Franck Lacerenza, directeur de l’association Saumon Rhin 

En moyenne sur une année, combien de saumons sont comptabilisés remontant le cours du Rhin ? Quelles sont les autres espèces migratrices que vous observez ?

Ces dernières années, mise à part pour 2021 qui était une année très mauvaise, nous dénombrons environ 200 saumons adultes au niveau du Rhin supérieur, confirmant ainsi qu’au moins mille saumons remontent le Rhin à partir du delta. Pour rappel, l’espèce avait disparu dans les années 50/60, ces chiffres sont donc très encourageants !

Dans le Rhin français, nous observons également des truites de mer, des anguilles européennes, des lamproies marines, des grandes aloses.

Les lamproies fluviatiles sont aussi des migrateurs mais non prises en compte dans le plan de gestion des poissons migrateurs du bassin Rhin-Meuse.

Saumon observé en 2022 à la passe de poissons de Gambsheim (département 67)
Saumon observé en 2022 à la passe de poissons de Gambsheim (67) à partir du local d’observation

Ces chiffres témoignent-ils d’une amélioration des conditions de migration des différentes espèces ? Quelles sont les principales avancées en la matière ?

Les meilleurs retours observés pour la population de saumon confirment une légère amélioration mais encore très fragile (d’où le recours aux repeuplements).

Les principales avancées sont multiples mais nous pouvons noter des efforts importants en matière de restauration de la continuité écologique sur le Rhin (notamment sur les passes à poissons sur les centrales EDF…) mais aussi sur les affluents alsaciens afin de rejoindre rapidement les zones favorables. Avant 2000, le réseau hydrographique alsacien était inaccessible puis depuis, chaque année de nombreux ouvrages sont effacés/équipés.

En parallèle, la qualité de l’eau et des habitats tend à s’améliorer avec la mise en place de stations d’épuration, la réduction des rejets en cours d’eau, la restauration hydromorphologique des cours d’eau… 

Le changement climatique a-t-il un impact sur ce cycle ? De quelle manière cela se traduit-il concrètement ?

Une thèse réalisée l’an passé chez LOGRAMI (notre équivalent sur le bassin de la Loire) démontre une certaine plasticité des saumons. Ainsi, au cours des dernières décennies, les périodes de migration se sont décalées de quelques jours (en moyenne et pour la France) afin de correspondre aux conditions nécessaires. Cependant, si d’autres facteurs rentrent en jeu comme une rupture de la continuité écologique ou un ralentissement, ce léger retard pourrait empêcher les géniteurs d’atteindre les zones favorables au bon moment.

Le changement climatique global a un impact sur le cycle des poissons migrateurs, notamment par le biais du réchauffement des eaux.

De même, le changement global induit aussi une modification au sein de l’écosystème et des communautés piscicoles. Nous observons alors l’arrivée d’espèces exotiques, souvent adaptées aux eaux chaudes et qui sont autant d’individus pouvant par exemple être des prédateurs pour les poissons migrateurs. Pour les poissons migrateurs qui se reproduisent en eaux plus chaudes comme la grand alose (reproduction en mai), le réchauffement des eaux n’a pas encore mis en évidence d’impact notoire positif ou négatif. 

Poster des poissons migrateurs de France
Poster à télécharger (lien en base de page)

Quel message aimeriez-vous porter en votre qualité d’ambassadeur des espèces migratrices du Rhin ?

Que les efforts entrepris par l’ensemble des acteurs paient et que nous observons de biens meilleurs résultats ces dernières années, au niveau du Rhin mais également dans ses affluents. Bien sûr, c’est un travail de long haleine et il suffit de regarder le cycle de vie de ces espèces pour comprendre qu’il faudra de nombreuses générations (de poissons) pour constater des résultats significatifs. C’est tout à leur image, ils font bien des milliers de kilomètres durant leur vie pour se reproduire, se nourrir…  Ce sont des espèces rares, particulières et très sensibles qui sont le reflet de notre écosystème (bioindicateur) et leur retour puis leur maintien durable et naturel indiquent une restauration continue de la biodiversité rhénane et de ses habitats.

Cependant, beaucoup reste encore à faire et pour cela nous avons besoins de mener des études afin d’acquérir la connaissance utile pour mobiliser efficacement les moyens mis à notre disposition (humains et financiers, qui sont malheureusement encore trop limités).

En effet, il est urgent d’agir.

Crédit photos : Association Saumon Rhin